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Nos jeunes leaders nous montrent le chemin

Vendredi 25 septembre 2020

Albert Dumont, dit « South Wind », est un poète, un conteur et un passeur des traditions algonquines. Né sur la réserve de Kitigan Zibi, territoire de la nation algonquine, il a consacré sa vie à promouvoir la spiritualité, le processus de guérison et les droits des peuples autochtones, en particulier auprès des jeunes.

Dès notre arrivée dans ce monde, dès notre premier souffle comme nouveau-né sans défense, s’amorce le printemps de notre vie. Le cours des jours nous mène ensuite vers l’enfance et la préadolescence, des périodes marquées par une relative insouciance. Ensuite viennent les années formatives de l’adolescence, qui sont souvent caractérisées par la rébellion et qui marquent la fin de cette saison de la vie. La puissance créatrice souhaite sans doute que chacun puisse savourer les quatre saisons de la vie. Pour les humains, le printemps est synonyme de découvertes et de recherche d’expériences marquantes.

Le printemps de ma propre vie recèle des souvenirs que j’aurais dû avoir oubliés depuis longtemps, moi qui en suis à ma soixante-dixième année. Mais certains de ces événements me hantent encore aujourd’hui. Le racisme est une chose très cruelle.

Je me souviens très bien du moment où les graines de la dysfonction qu’on avait plantées en moi ont germé. Ce sont des personnes remplies de haine qui m’ont imposé ces semences empoisonnées. J’avais 10 ans, et une bonne compréhension de ce qui est juste, qui reposait sur les observations du jeune Algonquin que j’étais, qui tentait de trouver ses repères dans un monde où tous les habitants de son village – à part sa propre famille – étaient Blancs. Dieu merci, ils étaient pour la plupart ouverts d’esprit et accueillants, mais malheureusement, il y en avait certains qui auraient préféré que ma famille s’installe ailleurs après avoir quitté la réserve algonquine de Kitigan Zibi en 1956. À son travail, mon père se faisait parfois crier : « Retourne d’où tu viens, maudit Indien ». À l’école, j’ai vite remarqué que certains de mes camarades – dont la couleur de la peau était différente – avaient droit à un traitement plus favorable que moi. J’ai plus souvent qu’à mon tour reçu des coups sur les mains, alors qu’on se contentait d’avertissements pour les enfants blancs qui faisaient des mauvais coups. Je n’aimais pas être traité différemment des autres, et je n’aimais pas le portrait que dressaient les livres d’histoire de mes ancêtres. À dix ans, je me suis donc fougueusement rebellé. Soyons clairs : pendant un moment, j’étais tout simplement hors de contrôle! Je n’avais aucun aîné ni conseiller spirituel vers qui me tourner, aucun modèle pour me guider. J’ai appris à cette époque que, lorsqu’on est vulnérable, les blessures qu’inflige le racisme pénètrent jusque dans notre âme, et que ces plaies peuvent nous suivre jusque dans la dernière saison de notre vie : l’hiver.

Maintenant que je connais bien la détresse émotionnelle que peut vivre une personne – en particulier un adolescent curieux et assoiffé d’aventure – je saisis toutes les occasions d’aider les autres. Je visite des classes d’élèves de 10, 11 ou 12 ans pour leur raconter certaines de mes expériences, parce que je sais que ce récit les aidera à se préparer à l’adolescence qui les attend. Tant sur le plan émotionnel que spirituel, nos jeunes ont besoin d’apprendre à dire « non » aux éléments qui nuisent à leur santé et à leur bien-être. Il faut leur expliquer d’une voix positive que l’alcoolisme, la toxicomanie et les autres dépendances peuvent s’infiltrer dans leur vie dès l’âge de 14 ou 15 ans.

Je leur raconte donc une histoire qui m’est arrivée à l’été 1960, quand j’avais 10 ans. Un jour où je m’ennuyais à mourir, mon esprit espiègle – esprit qui anime beaucoup de jeunes garçons – a pris le dessus. J’ai cru que le fait de jouer un tour à quelqu’un m’occuperait. J’ai donc attaché une belle pomme rouge à une ficelle, que j’ai nouée à la branche d’un petit chêne se dressant à quelques mètres de la maison de mes grands-parents à Maniwaki, au Québec. Mon plan, c’était de leur faire croire qu’une pomme avait miraculeusement poussé dans ce chêne durant la nuit. Ç’a fonctionné : mon grand-père croyait que Dieu avait fait pousser cette pomme pour lui envoyer un signe divin, à lui et à lui seul. Ma grand-mère, de son côté, a tout de suite su qu’un petit coquin tentait de leur jouer un tour. Ce jour-là, j’ai appris qu’on ne pouvait pas la mener en bateau.

J’aime raconter cette histoire aux jeunes pour leur faire comprendre qu’il arrivera un jour dans leur adolescence où quelqu’un tentera de les flouer. C’est aussi concret que la vie qui anime les collines lointaines; c’est une certitude aussi claire que l’inéluctabilité de la mort qui nous frappera tous un jour. Je leur explique que s’ils n’ont pas envie de boire de l’alcool, de prendre des drogues, de fumer des cigarettes ou de faire une activité qui va à l’encontre de leurs valeurs, ils ne doivent laisser personne les influencer et les convaincre que c’est ce qu’ils veulent faire. Je leur suggère d’éviter de faire la même erreur que mon grand-père, qui a cru qu’une pomme pouvait pousser dans un chêne, mais d’être plutôt comme ma grand-mère, à qui on ne pouvait pas raconter de salades. Les enfants apprennent beaucoup grâce aux histoires, surtout les jeunes autochtones, parce que les récits font partie intégrante de notre culture traditionnelle.

Je crois fermement que les souvenirs d’une lignée familiale, qu’ils soient bons ou mauvais, doivent être soigneusement compilés et conservés. Il n’y a aucun doute : ces archives sacrées seront considérées comme le plus précieux des trésors par les générations à venir. J’aimerais tant apprendre à connaître intimement mes ancêtres en lisant les journaux personnels, les lettres, les poèmes et les mémoires de mes grands-parents, que j’aimais, et de leurs propres grands-parents, dont je n’ai jamais même vu le visage. Dans ma famille, nous n’avons pas d’archives du genre. Mes grands-parents n’étaient pas des personnes instruites. À ma connaissance, ils n’ont laissé à leurs enfants aucune lettre ni aucun récit ou poème racontant leurs joies et leurs peines. J’aimerais tant qu’il y en ait!

Je pense parfois à ma petite fille, Kyrstin, la première de mes cinq petits enfants. Elle a eu des difficultés d’apprentissage, et ça n’a pas été facile pour elle à l’école. Dans la classe et dans la cour d’école, elle a été victime de racisme. Des élèves ignorants l’ont insultée. Un jour, un de ses enseignants l’a fixée en disant que tout le monde savait qui avait eu la pire note... après avoir nommé la personne qui avait eu le meilleur résultat à un examen. Ce genre d’expérience lui a rendu la vie dure et a plombé son estime de soi. Elle a tout de même persévéré et continué de faire de son mieux. Sa motivation et sa fierté envers ses racines l’ont bien servie. Kyrstin est maintenant une leader reconnue dans sa communauté; elle a même récemment remporté le prix June‑Girvan pour son implication auprès des jeunes.

C’est une conférencière douée; elle est très sollicitée par toutes sortes de groupes et d’organismes, qui s’intéressent à son point de vue sur la santé et le bien-être des jeunes de son âge.

J’espère qu’elle gardera des traces de ses expériences pour enrichir nos archives familiales. Elle a peut-être eu des difficultés en lecture et en écriture, mais aujourd’hui, tout va bien pour elle à l’école et elle sait brillamment se servir des mots. Je suis très fier d’elle.

En terminant, j’aimerais vous faire une demande sincère. Le 30 septembre, en l’honneur de la journée du chandail orange, j’aimerais que vous consacriez au moins une heure à une activité qui, selon vous, contribue à la lutte contre le racisme. La terrible et honteuse Loi sur les Indiens est à l’agonie. Les pensionnats n’existent plus. L’heure est à la guérison.

Par Albert Dumont

Aninâtigo-anîbîshan Kichi-Makwang

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The Maple Leaves of Kichi Makwa = Les Feuilles D'érable De Kichi Makwa

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With the Wind and Men of Dust

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Commentaires

Albert's story

Albert, I appreciate that you have lived many experiences and that you now share your wisdom with younger people, through your personal warmth and words. And thank you for standing up for the trees.